Relecture & Critique : Le duo gagnant pour un manuscrit de qualité

"Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, polissez-le sans cesse, et le repolissez, ajoutez quelquefois, et souvent effacez."
Nicolas Boileau

3 h 42 du matin ...

... sept cafés au compteur : c’est les yeux rouges et les épaules raides que vous écrivez les toutes dernières lignes de votre autobiographie « Mémoires d’un voyeur narcissique ».

À la fenêtre de votre minuscule appartement d’HLM, une belle et grande cigarette au bec, vous vous mettez à fantasmer sur votre avenir... Voyons voir : demain, vous faites une passe sur les fautes d’orthographe et, si tout se passe bien, après-demain, vous serez à même d’envoyer une grosse dizaine de cette merveille aux plus grosses maisons d’édition du pays.

Ce livre va certainement avoir l’effet d’un raz-de-marée. Mais oui, c’est certain, si un bouquin comme la Bible est parvenu à s’imposer comme pilier fondateur d’une religion, il y a de quoi frémir des répercussions d’une prose aussi affûtée. Et si [...]

ET… COUPER !

Mes amis, envoyer son travail à la hâte est LE meilleur moyen de tuer dans l’œuf l’avenir d’un écrit. Non seulement vous allez gaspiller votre argent, mais vous allez faire perdre un temps précieux aux lecteurs qui vont recevoir votre manuscrit (sur une base de 15 manuscrits envoyés modulo une vingtaine d’écrivains “précoces” par mois et à raison de 10 minutes de lecture par maison d’édition, on tape déjà dans les 600 heures de boulot inutiles… BREF, j’aime les multiplications…)

Plus tristement sérieusement, l’écriture est un travail de patience et d’obstination. Certes, vous avez déjà beaucoup donné en bouclant « Mémoires d’un voyeur narcissique », mais, détrompez-vous, l’heure n’est pas à la chasse aux maisons d’édition, mais à la relecture…

ACTE I - Laisser reposer

Stephen King raconte dans son livre « Mémoires d’un métier » qu’il laissait reposer deux mois le premier jet d’un roman afin d’avoir un regard plus objectif et critique sur son œuvre lors de la phase de relecture.

Si vous avez un peu de bouteille, c’est une technique qu’il faut définitivement mettre à l’épreuve. Au-delà de vous permettre de sortir la tête du guidon et d’avoir ainsi le temps de digérer votre production, cette technique a le grand mérite de vous faire changer de routine quotidiennement :

Fantastique ! Je viens de boucler « Le lancer de javelot pour les nuls », je vais donc en profiter pour faire la troisième relecture de « Le franc CFA, une énième laisse pour l’Afrique », avant de finaliser le sixième chapitre de « TAFTA : [l’amour]/[la mort] est dans les blés ».

Si c’est votre premier livre, en revanche, je vous déconseille de suivre ce (sage) conseil. Ne faites pas l’erreur de pondre un deuxième livre avant d’avoir VÉRITABLEMENT bouclé le premier. Le travail de relecture et les salves de critiques vont affûter votre style bien plus sûrement que la rédaction d’un second roman.

ACTE II - Traquer les immondices orthographiques et grammaticales

C’est le point de départ du travail de relecture. Si, tout comme moi, vous avez de profondes lacunes dans ce domaine et ne vous sentez pas la patience d’éplucher le Bescherelle, je vous recommande vivement de jeter un coup d’œil à Antidote.

Ce logiciel, qui n’est ni plus ni moins l’un des logiciels de correction orthographique les plus aboutis du marché. Si jamais cœur vous en dit (et si vous êtes du genre à payer vos logiciels), ce petit bijoux coûte dans les 100€ (contre 320 pour ProLexis). Outre le fait de gérer avec brio les espaces insécables, il possède la particularité de faire des statistiques sur vos erreurs :

  • Accord du nom : 12 %
  • Erreurs de conjugaison : 7 %
  • Typographie : 15 %
  • Orthographe : 52 %

Présenté ainsi, il vous sera chose aisée de cerner vos lacunes et de réviser (précisément) les règles grammaticales que vous n’aviez pas assimilées en CM2.

Bien que les algorithmes de correction orthographique/syntaxique aient fait des progrès considérables, rien ne vaut l’expertise d’un encéphale humain.

Pour ce faire, deux possibilités s’offrent à vous :

  • vous alignez les € et payez comptant un correcteur professionnel (à 1,80 € les 1000 caractères, j’espère que vous n’avez pas écrit « Le Rouge et le Noir II ») ;
  • vous avez à votre disposition une bonne âme prête à mettre la main à la pâte (votre maman, un très bon ami, que sais-je ?).

Ayep ? Votre manuscrit est exempt de toute faute ?

Fantastique, il est donc fin prêt à être explosé par/exposé à la critique !

ACTE III - Choisir et conditionner son lectorat VIP

Direction l’imprimeur du coin ! Pour trente minutes de votre temps et en échange de quelques billets roses, vous devriez être en mesure de vous procurer une bonne demi-douzaine de tapuscrits.

Gare à vous, ces manuscrits ne sont pas à donner au premier venu. Votre mission, si vous l’acceptez, est de sélectionner avec soin vos tout premiers lecteurs. Voisin de palier, patron, ex de longue date, peu importe : la priorité absolue est qu’ils soient motivés à lire votre livre (rapidement) et en mesure de vous en faire une critique constructive (je retire ce que je viens de dire : proposer un exemplaire à une/un de vos ex est une mauvaise idée).

Une fois constitué, votre lectorat VIP doit être briefé sur ce que vous attendez de lui. En effet, si vous leur refilez le bébé sans dire mot, il y a 200 % de chances que vos amis reviennent vers vous quatre semaines plus tard, la bouche en cœur et avec pour toute critique : « C’était vraiment TOP ! Le personnage principal, c’est toi tout craché ! »

Pour ce faire, annoncer la couleur avec un monologue de ce goût-là :

« Jean-Michel, mon ami de toujours ! J’ai une tâche d’une extrême importance à te confier. Comme tu l’as vu (et surtout comme tu ne m’as pas vu ces cinq derniers mois), je me suis mis en tête de devenir écrivain et viens de terminer le premier jet de “Pourquoi j’ai mangé ta sœur”.

Parmi mes centaines d’amis Facebook, je t’ai choisi, TOI, pour être mon tout premier lecteur. Seulement, je veux qu’en lisant mon écrit tu prennes la peine de souligner ou barrer :

  • les mots et passages où tu n’as strictement rien compris ;
  • le personnage ET le chapitre qui te semblent le moins pertinents ;
  • les moments où tu as arrêté ta lecture.

S’il te plaît, accepte mon humble manuscrit ainsi que ce stylo rouge et rends-moi le service de me dire en quoi je ne suis pas fait pour être écrivain. »

ACTE IV - Se relire à HAUTE voix

1.  Si vous manquez d’air en plein milieu d’une phrase, découpez-la.

2.  Si vous manquez d’air à la fin d’une phrase, ajoutez de la ponctuation.

3.  Si redondance de mots il y a, synonyme tu trouveras.

4.  À la lecture des dialogues, faites disparaître tout ce qui peut affecter la fluidité de l’échange :

« Quoi ? Comment est-ce possible ? Tu as flirté avec la femme de chambre ? s’indigna la femme de Dominique. »

5.  Si une phrase dénote par rapport à la musicalité d’un paragraphe, supprimez-la (sans scrupule). Jeter vingt minutes, une journée ou même trois semaines de boulot est une chose, ne pas se faire publier parce que votre deuxième chapitre coupe la dynamique du récit en est une autre…

[...] BREF, mon point n’est pas de vous pondre une liste de bonnes pratiques d’écriture (du haut de ma maigre expérience, ce serait fort malvenu), mais de souligner l’importance de se relire 3, 4, 5, 10 fois… à voix haute.

Bien que l’exercice soit fastidieux (et puisse paraître un peu pompeux), l’oreille est bien plus sensible à une prose hasardeuse que ne pourrait l’être notre œil.

ACTE V - Faites de votre premier chapitre la vitrine de votre livre

Combien de bouquins ou de séries avez-vous abandonnés au bout de trois épisodes ou de 25 pages ? L’histoire ne semble pas décoller ? Un chapitre entier est consacré à la description d’une charpente (merci, Zola !) ? Les six premières pages sont bourrées de phrases à rallonge ?

Vous l’aurez deviné, le lecteur doit tomber sous le charme au plus vite, a minima lors des premiers chapitres, au mieux dès les premières pages.

Ce point est capital car, là où le lecteur fera l’effort de lire les 50 premières pages (il a quand même investi 6,50 €… ) le Lecteur (le L fait toute la nuance) ne lira que les cinq premières et passera au tapuscrit suivant.

ACTE VI - Sachez vous arrêter

Les légendes de blogs racontent que :

« Pour un écrivain expérimenté, le travail de relecture représente deux fois le temps d’écriture. Pour un novice, la phase de correction correspond à 4 fois le temps d’écriture. »

Des quelques écrivains en devenir que j’ai rencontrés, fort peu avaient attendu aussi longtemps avant de céder à la tentation de faire de leur premier manuscrit des enveloppes.

Et pour cause, la rédaction du premier roman est une épreuve en soi. Arrivé au point final, le néophyte est à bout de souffle. Lui demander de revivre quatre fois ce qu’il vient d’endurer est inconcevable.

Oui certes, mais il n’empêche que ça ne répond pas à LA question :

Quand mettre un terme au travail de relecture ?

Certains diront JAMAIS (il y a toujours matière à peaufiner son œuvre, bla bla bla). Pour ma part, je pense qu’il est temps de lâcher prise quand la relecture de votre écrit ne vous invite à faire que des modifications mineures (vaut-il mieux que j’écrive ce 2 en chiffre romain ? Et si je changeais la police de caractères de mes titres de chapitres ?).

Comme dirait ce bon Antoine de Saint-Exupéry :

« La perfection est atteinte non pas quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à enlever. »

Si tel est le cas, FÉLICITATIONS, vous avez fini le job !

Enfin… non pas vraiment, il reste à écrire une lettre de présentation, faire en sorte que la marge de droite soit de quatre millimètres, que la police d’écriture soit du Times New Roman taille 12, que le grammage de la feuille […].

Mais ça, c’est encore une autre histoire, affaire à suivre !

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